Ah ! Nous voici maintenant arrivés sur le quai central, c’est très certainement mon endroit préféré. D’ici, la vue est absolument imprenable. Chaque fois que je marche sur ses pavés je ne peux m’empêcher de repenser à ce 8 juillet ; le 8 juillet 1888. Je n’étais alors qu’un très petit garçon mais je m’en souviens comme si c’était hier...

C’est dimanche, mais pas un dimanche comme les autres, l’agitation est palpable depuis plusieurs jours, les drapeaux français s’alignent sur les maisons de Arques et de Saint-Omer. Et pour cause, nous nous apprêtons à recevoir les officiels, l’ascenseur à bateaux va enfin être inauguré. J’ai vu le bâtiment sortir de terre et suivi sa construction depuis mes premiers pas et j’ai déjà le sentiment que lui et moi sommes liés. Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus, avec quelques enfants, en direction de Saint-Omer afin de profiter de tout ce que cette journée avait à nous offrir. Plus nous descendons vers la ville, plus la foule se fait compacte et très vite nous ne pouvons plus avancer. Tout à coup, le brouhaha se fait plus imposant encore et tandis que mes yeux ne voient que les jambes grises des chevaux j’entends des “Vive la République !”, “Vive M. le Ministre” (brouhaha de la foule, des “Vive la République” et “Vive Monsieur le Ministre” se devinent).

Le landau de M. Deluns-Montaud, ministre des Travaux publics remonte en effet l’avenue de la gare au son des fanfares qui jouent “La Marseillaise” (fanfare audible en fond). Dans l’après-midi, nous assistons, ébahis, à la manœuvre de l’ascenseur. Mon père me prend sur ses épaules et mes yeux d’enfants peinent à croire ce qui se déroule devant eux : 2 énormes péniches prennent littéralement l’ascenseur. L’odeur des gaufres, les rires des enfants qui ricochent sur le canal, la tombée de la nuit et le feu d’artifice, ahhh... (bruits de la foule, rires d’enfants, feu d’artifice, le tout se fait de plus en plus lointain tandis que le discours du souvenir du Gardien touche à sa fin) des couleurs et des bruits qui fascinent le petit garçon que j’étais encore. Et oui... comme si c’était hier... Depuis ce jour, je ne suis jamais resté bien loin de mon ascenseur et mes pieds ont bien souvent foulé son chemin de halage.

Un jour de printemps 1902, ma vie allait basculer d’une manière dont je ne m’étais pas imaginé. Alors que je faisais ma tournée quotidienne, celle qui allait devenir ma femme m’apparut comme dans un rêve. Hélène, fille de batelier. Les mariages entre enfants de batelier et enfants “d’à terre” ne sont pas chose aisée à faire accepter mais au fil du temps et des passages de l’ascenseur, notre histoire devint une évidence.

Quelques années plus tard, ce sont nos enfants qui foulaient ces pavés. Je les vois encore, lors des chaudes journées d’été, se presser sur la passerelle pour regarder la manœuvre de l’ascenseur, recevant au passage quelques gouttes d’eau. Hélène n’a jamais su rester très loin de ses racines de fille de l’eau et ne manque pas une occasion de remonter à bord quand sa famille est de passage sur le canal de Neuffossé. Mais justement, ma nièce et mon neveu sont à quai prenez le temps de flâner en ce lieu chargé de souvenirs et rejoignez-moi à bord, je vais vous les présenter.